Une tache dans le paysage [Terminé]

Vianney avait toujours vécu dans un monde à l’image de ses habitants. Un environnement sombre abritant des êtres qui l’étaient tout autant... Umbra... Et suite à diverses pérégrinations, il s’était retrouvé là, dans cette ville bercée par la lumière. Lui qui aimait tellement le blanc, comme en témoignait sa chemise dont la couleur aussi immaculée que la neige, trouvait dans le monde de Lucina le genre de pureté qu’il recherchait. Ainsi, il se sentait tel un loup dans une bergerie... Une bergerie fleurie et inoffensive au premier abord, mais qui avait comme tout le monde, un vice caché. *Au moins, se disait-il, Umbra ne cache pas ses intentions... *. Mais soit, un peu de subtilité de temps à autre n’avait jamais tué personne... jusqu’à ce que l’elfe vienne exploiter les jardins de Lucina, tout du moins. Vianney avait décidé de visiter le verger dans un but un peu étrange, puisqu’il voulait se retrouver dans un cadre « neutre », pour en ressortir comme purifié, pour pouvoir tuer en ayant retrouvé une certaine « innocence ». Comme une renaissance... Procédé étrange, mais qui savait ce qui pouvait bien se passer dans la tête de Vianney Feanor ?
Assis sur une sorte de gros caillou, l’elfe faisait une pause, car il avait également profité de cette escapade « verte » pour faire le plein de végétaux, sa « réserve » de poison commençant à s’estomper. Sans ses fioles, Vianney ressentait comme un manque, comme vidé d’une partie de lui-même. Bien sûr, cette sensation se révélerait plus forte vis-à-vis de son kathar, mais force était de constater que le poison tenait une place importante dans sa vie, et une place mortelle dans celle de ses victimes... Mais faire la cueillette avait fatigué notre elfe, et ce rocher était le bienvenu.

*Ah, le calme avant la tem...*

Ses pensées furent interrompues, et Vianney avait commenté les événements à voix haute.

« Mais qu’est-ce que... Aah, c’est quoi ce foutu caillou qui bouge... ?! »

En effet, ce sur quoi s’était installé Vianney commençait à bouger, et ce qu’il avait pris pour un simple caillou était en fait une plante carnivore. Il fallait dire que sur Umbra, ce n’était pas ce genre de créature dont il fallait se méfier... Mais que l’on soit Umbrien ou encore Harmonien, le végétaux diabolique ne faisait pas de différences, au grand dam de l’elfe. Et le temps qu’il avait mis à se rendre compte qu’il s’était en fait assis sur un monstre lui avait porté préjudice, puisque qu’il se trouvait à présent à une certaine hauteur, perché sur une feuille. Il ne savait comment il avait pu passer d’un bloc à une simple feuille, mais cela lui était égal car tout ce qui lui importait était de s'extirper des «filets» de la plante. En hâte, il sorti donc son kathar pour dégager les tiges qui commençaient à l’enlacer, et du couper –par miracle- sur une sorte de point sensible, puisque la chose lâcha prise. Mais le « calvaire » de Vianney ne s’arrêta pas là, car il était évident que de cette hauteur, le choc risquait d’être rude...

Et ce n’est que deux heures plus tard que Vianney se réveilla, visiblement projeté à une centaine de mètre de son bourreau vert. Ses yeux avaient du mal à s’ouvrir à cause de l’imposante luminosité de Lucina, et ses membres étaient tout engourdis. Il se releva avec peine et constata quelques égratignures sur ses bras en observant les manches ensanglantées.
*Oh non, ma belle chemise est toute sale... * fut sa première pensée. Et à vrai dire, il ne pouvait penser à rien d’autre. Il n’avait plus aucun souvenir d’un quelconque passé, ni même de son nom ou encore de ce qu’il faisait là. Ce n’était qu’une amnésie temporaire due au choc, mais qu’allait-il bien pouvoir faire en attendant ? Eh bien, ce qui lui paru le plus inné... c'est-à-dire marcher, marcher jusqu’à retrouver la mémoire....

... Courir... Les loups... Sa mère...

Des images revenaient, floues et incompréhensibles. Comme son existence à présent... Cela le faisait chanceler, mais il n'en arrêta pas son errance nouvelle pour autant, et quand il vit de la fumée s’échapper d’une masse allongée sur l’herbe, il decida de s'en approcher. Un homme était là, en train de fumer sa cigarette.

« Heu... Excusez-moi ? Désolé de vous déranger, mais j’aimerais savoir où je me trouve, et si vous pouviez me dire qui je suis, aussi... »

Avait-il dit avec une candeur jusque là inconnue. Mais le cadre de l’ingénu était quelque peu entaché par les vêtements ensanglantés et le kathar présent dans sa main droite...

Vianney admirait le paysage qui s’offrait à lui. Il ne savait pas où il était tombé, mais il se dit que cela devait sûrement être l’un des plus beaux endroits qui existent. Et cette lumière... il se sentait comme rassuré, même en étant vierge de toute vie, tel un enfant venant de naitre. Après tout, lui qui recherchait à se purifier en venant en ces lieux, n’aurait pu espérer mieux... Car à moins de refaire une chute aussi impressionnante, il n’aurait jamais plus l’occasion de revivre, en quelque sorte, une renaissance. Cette perspective au final se revelait intéressante... Avoir l’occasion de refaire sa vie, de tout reprendre à zéro, de devenir un autre avait souvent effleuré l’esprit de Vianney, tel un doux fantasme. Mais bien que cette situation n’était qu’éphémère, l’elfe aura au moins gouté à cette fantaisie quelque temps.
En attendant, il n’avait toujours aucune idée d’où il était, jusqu’à ce que l’homme à la cigarette réponde enfin :

- Et bien mon vieux...tu sembles sacrément paumé...tu es sur Lucina, et plus précisément dans un lieu appelé Les Jardins Enchantés, un petit coin de paradis pas vrai ?

Bien sûr, c’était évident... Un endroit pareil ne pouvait porter qu’un nom aussi féerique que Jardins Enchantés, et Vianney comprenait parfaitement la corrélation avec le paradis. Lui-même en avait déduit cela et finalement, cela lui suffisait. Pour toute réponse aux paroles de l’homme, Vianney s’était contenté d’hocher la tête, trop occupé à admirer le décor naturel. A peine entendit-il l’homme lui dire qu’il n’avait aucune idée de qui il pouvait être. Et après tout, ne rien savoir de ce que l’on est n’était pas un sentiment désagréable... On pouvait ainsi se modeler à notre façon, sans les poids du passé. Une sensation de legerté, de liberté...

- En tout cas je peux te dire que je m'appelle Saladin, et que je suis Harmonien...et que si tu veux savoir qui tu es, y'a pas de remède miracle, c'est au travers de ton parcours que tu retrouveras ton identité...enfin je pense.

Ses paroles l’avait fait revenir à la réalité, et l’embrouillaient plus qu’autre chose. Qu’est-ce qu’un Harmonien ? Pas de remède miracle ? Tout cela était abstrait pour lui, et pour toute réponse il bredouilla un « oui, bien sûr... ». Lorsque l’homme déclara qu’il allait s’en aller, et qu’il fit allusion à son arme, Vianney se rappela alors du sang sur sa chemise et du kathar présent dans sa main. Il se demanda s’il l’utilisait avant « l’incident », et au vu des traces de sang qui restaient sur la lame, la conclusion s’imposa à lui. Peut-être était-il un tueur... En attendant, Vianney décida d’accompagner l’homme, et rangea son arme avant de parler.

« Oui, moi non plus. Cette arme a du trop servir dans le passé, la ranger un peu ne lui fera pas de mal. Sinon, je veux bien que l’on fasse un bout de chemin ensemble, j’aimerais bien visiter un peu Lucina... »

Ces paroles, jamais le « vrai » Vianney ne les auraient prononcé. Trop « gentilles », trop simples aussi... Mais le Vianney du moment était tout cela, un être qui découvrait la vie et qui n’avait encore aucune notion du mal.

Les deux hommes marchèrent un long moment, arpentant le verger et le contemplant souvent. Le lyrisme du paysage n’inspirait que le silence, mais Vianney brisa cette harmonie avec la nature en questionnant son compagnon de route sur des choses futiles, tel son âge ou encore en lui demandant de lui parler des trois mondes qui existaient visiblement. L’homme lui avait appris qu’il devait être un Umbrien, des êtres habitués aux ténèbres et avide de tuer, la plupart du temps. Cela expliquait le reste de sang sur la lame... Le fumeur lui parla également du trésor, des convoitises que celui-ci engendrait, et ce genre de chose. La ballade se passait sans accrocs, jusqu’à ce que Vianney aperçoive une masse grise sur le sol. En s’approchant un peu plus, ils découvrirent un cadavre de loup gris gisant là. L’elfe resta bloqué sur l’animal ensanglanté, et lança un regard paniqué à Saladin. Panique qui s’accrue lorsqu’un cri déchira le ciel bleu. Un cri d’oiseau... et quand Vianney leva la tête, c’était un rapace d’une taille monstrueuse qui se trouvait là, planant à quelques mètre d’eux, et commençant à se rapprocher du sol.
C’était sûrement cet « oiseau » qui avait mis le loup gris dans un tel état...et à présent, c’était vers eux qu’il se dirigeait.

« Euh... C’est quoi, ça... ? », avait-il dit d’une voix inquiète à Saladin, levant sa main droite pour montrer le griffon.

Vianney se trouvait entre l’étonnement et la peur, face à cette chose venue du ciel. Et il y avait de quoi, puisque si pour tout habitants, les monstres étaient chose courante, pour quelqu’un qui venait au monde, métaphoriquement bien sûr, cela pouvait se révéler surprenant. Il était évident que Vianney se rendait compte de la dangerosité de l’animal, mais sa naïveté l’avait poussé à questionner son compagnon d’un temps sur l’origine, quitte à perdre du temps qui pourrait se révéler précieux pour sa survie. Et selon Saladin, il devrait combattre pour rester en vie, ce qui fit paniquer encore plus l’amnésique. C’est vrai, il ne savait pas –du moins, plus- se servir d’une arme, et il se retrouvait à devoir combattre un griffon, visiblement une bestiole encore plus dangereuse que le pauvre loup gris qu’elle avait sans aucun doute massacré...

Les loups... Le corps d’une femme démantelé par les crocs... Les bouts de chair éparpillés sur tout le sol....

Toutes ces images avaient défilés en un rien de temps dans la tête de Vianney, mais assez pour le troubler le temps de quelques secondes. Des bribes du passé qui revenaient... en serait-il de même pour sa mémoire ? Surement, mais là n’était pas la priorité, qui était moins idyllique que ça. Car les affrontements, s’ils pouvaient se révéler épiques, étaient rarement semblables à une douce idylle. Et celui qui avait commencé entre les hommes et la bête se déroulait bien trop rapidement aux yeux de Vianney, qui n’était resté jusqu’à présent, que spectateur du combat au cours duquel dépendait pourtant sa vie. Il avait regardé Saladin faire, se mouvant plus par reflexe que par réel conscience du déroulement des événements. Et quand celui-ci l’invita à aller de l’avant, Vianney prit enfin conscience que s’il ne voulait pas mourir sans souvenirs, il devrait se battre.

Mais comment ? Il avait vu le fumeur lancer des boules d’arcanes sur le volatile, cela voulait-il dire que lui aussi possédait un tel pouvoir ? L’elfe se posait tant de questions, mais la réflexion n’avait pas vraiment sa place en ce moment même, dans les Jardins Enchantés, paradis qui était en train de se transformer en champs de bataille... Toujours était-il que la bête, certes quelque peu blessée, avançait vers eux. Venue d’il ne sait où, une boule d’ombre avait touché le griffon. La peur peut tout vous faire faire, même lancer une attaque dont vous ignorez l’existence il y a encore quelques minutes de ça... Son attaque était différent et moins puissante que celle de Saladin, mais c’était toujours des « forces » en moins pour la bête. Et une chance de survivre en plus pour les deux hommes... L’ennemie fut donc encore un peu plus ralentie. Et soudain, par pure folie ou par totale inconscience, il fonça sur le griffon, le kathar à la main. Sa rapidité lui avait permit de sauver son bras gauche, puisque la bête n’eu pas le temps de l’agripper, et il en profita pour littéralement planter son kathar dans le flanc du rapace qui émit un cri perçant. Vianney l'avait regardé avec un étrange plaisir, comme si... comme s’il avait toujours fait ça... Du sang... Les combats de rues... Tout se passa très vite, et il eu même le temps de balancer de nouveau une boule d’ombre. sur l'animal Mais cet enchainement chanceux ne dura pas, puisque l’elfe, en tentant de se dégager du champ de mouvement du griffon, se retrouva prisonnier sous l’aile de celui-ci, se rapprochant un peu plus de la mort... L’elfe se débattait, bien que sa force ne faisait pas le poids face à celle de l’animal, qui poussait des cris de plus en plus déchirants. Une chose était sûr, il ne s’en sortirait pas seul...