Balade nocturne [Terminé]

La nuit commençait à tomber sur Equilios. L'heure approchait pour Okane de retrouver la vue, ne serait-ce que pour la nuit... Il attendait patiemment dans la chambre qu'il avait louée dans l'auberge, assis près de la fenêtre. Il adorait le moment où il commençait à voir... les formes apparaissaient, floues, puis se faisaient de plus en plus précise au fur et à mesure que le soleil se couchait et permettait au règne de l'obscurité d'avancer ses pions. En attendant, il faisait passer sa canne d'une main à l'autre et sifflotait un petit air joyeux. Alors que le décor de sa chambre lui apparaissait pour la première fois; un grand sourire enfantin apparut sur son visage. Il se leva et, tout content, se mit à explorer la pièce dans les moindre recoin. Sa vision était bien meilleure que celle d'un homme normal dans le noir, mais de moindre qualité que la vision d'une personne en plein jour. Mais pour Okane, c'était largement suffisant. Il n'avait jamais rien connu de mieux. Une fois son inspection terminée - il profitait de son pouvoir pour mémoriser l'emplacement des objets, il décida de sortir. Visiter la ville et mémoriser les endroits lui semblait prioritaire, vu qu'il n'avait pas trouvé de carte en braille... Il préféra prendre sa canne et prendre son rôle d'aveugle. Il s'était déjà fait traiter de faux aveugle parce que quelqu'un l'avait vu marcher la nuit, alors que le jour il n'y voyait rien.

A peine sortit il inspira une grande goulée d'air et soupira, heureux. Okane n'avait pas besoin de grand chose pour sourire et se sentir bien et c'était celons lui un grand avantage. Il s'était déjà fait insulter de simplet, de benêt, mais il s'en moquait. Les insultes ne faisait que glisser sur lui et il pardonnait, avec vissé au visage son joyeux sourire. Tandis que sa canne râclait le sol et produisait un son mélodieux - la chaîne cachée dans le bâton tintait agréablement sur les parties métalliques de l'objet - il se concentrait sur les bruits de la ville endormie. Il leva la tête pour contempler le ciel, ne ressentant pas le besoin de regarder où il marchait car après tout, il avait l'habitude de ne pas voir ses pieds ni le sol qu'ils foulaient. Le ciel était si beau la nuit.... Sans les nuages, les étoiles et la lune brillaient, ce qui diminuait légèrement son pouvoir. Il se laissa guider par ses pas, mémorisant par coeur le chemin qu'il avait emprunté et les bâtiments qu'il avait vu. Avec le temps ,il avait développé une solide mémoire... Ses pas innocents le conduisirent devant les marches du parlement, un lieu où devait se prendre parmi les plus importantes décisions d'Harmonia...

Son ouïe, plus développée que la moyenne, lui indiqua aussitôt la présence de 3 ivrognes. Il baissa la tête et constata qu'effectivement, 3 sinistres individus se dirigeaient - difficilement - vers une quatrième personne qu'il n'avait pas entendue. Comparée aux 3 autres, elle était d'un silence mortuaire.

- Eh ! J’veux m’fer un ‘veugle ! Dit le gars au chapeau.
- T’veux qu’t’aide à r’trouver ton ch’min ?! Renchéri celui aux cheveux noirs, tandis que le plus petit riait de plus belle.

Okane ne répondit pas et dissimula un sourire. Il était convaincu que ses hommes ne devaient pas être de mauvais bougres.... Une fois dessaoulés. Il continua son chemin, imperturbable, et constata que les 3 hommes le suivaient, apparemment ravis à l'idée de le bastonner proprement. Ils criaient de leurs voix éméchées et rauques, ce qui désola Okane. Il se faufila dans une ruelle et se cacha dans un coin particulièrement sombre. Il avait juste pour ambition de semer les ivrognes et de reprendre sa petite visite... les hommes passèrent sans le voir. En revanche, il n'avait pas prévu que la jeune femme les suivrait, apparemment venue à la rescousse. Évidemment, elle le prenait pour un aveugle... Okane constata avec surprise que les ivrognes avaient disparus. Avaient ils compris sa partie de cache cache ? Ils réapparurent subitement et en quelques secondes la jeune femme fut immobilisée et frappée. Okane ne prit même pas la peine de réfléchir, son corps réagit instinctivement et il bloqua le second coup de l'homme aux longs cheveux à l'aide de sa canne. Il pencha la tête sur le côté, les sourcils arqués lui donnant un air de surprise crédule.

- Pourquoi vous la frappez ?
- En quoi ç't'regarde, p'tit con ?
- Et porquoi y voit çui-là ? Demanda le petit aux cheveux blancs. L'est pas aveugle ?

Okane sourit et secoua la tête. "Désolé de vous décevoir..." Il prit sa canne et la divisa en deux morceaux reliés par une chaîne. D'un coup de pied dans la main, il fit lâcher à l'ivrogne le bâton de la jeune femme. D'un autre coup, il renvoya l'arme vers sa propriétaire, à présent libre. 1 contre 3? il ne fallait pas se surestimer non plus... un allié ne ferait pas de mal. Alors que l'homme-cheveux-longs se tenait la main en poussant des jurons colorés, les deux autres s'approchèrent. Okane n'attendit pas qu'ils attaquent et il se précipita vers eux, l'arme au poing. Son visage aux yeux argentés ne souriait plus...

Okane fut soulagée que la jeune femme ne perde pas son temps à réfléchir et attaque immédiatement l'homme aux cheveux longs. Il avait déjà fort à faire avec les deux autres ivrognes. Car, bien que bourrés, ils n'en restaient pas moins de coriaces adversaires. Heureusement qu'il avait l'avantage d'y voir clair pendant qu'eux n'y voyaient rien. Le petit aux cheveux blancs étaient particulièrement agile et il n'arrêtait pas d'harceler Okane avec des attaques vicieuses. L'homme au chapeau, lui, semblait plus rusé. Il attendait qu'une ouverture se fasse avant de s'élancer et de tenter de blesser l'aveugle avec sa dague effilée. Okane se dissimula dans l'obscurité, attendit quelques secondes, puis bondit sur le lus jeune, qui semblait être le plus vulnérable. Ce dernier étouffa un cri de surprise et tenta de se protéger mais en vain. L'aveugle entendit le "crac" reconnaissable de l'os brisé et un rapide sourire de satisfaction passa sur son visage. Evidemment, il ne prenait pas de plaisir à se battre ainsi, mais on ne lui avait pas vraiment demandé son avis... Pendant que le jeune à la cicatrice reculait en pleurant sur son pauvre bras, l'homme au chapeau repassa à l'attaque. il avait à présent deux dagues.

- Un contre un, mon p'tit père... Tu vas regretter d'être né...

Okane haussa les épaules et préféra ne pas répondre. Cela ne valait pas la peine de gâcher sa salive... Il attendit que l'autre attaque pour tenter une contre-attaque, mais le chapelier était rapide et semblait voir clair dans ses intentions. C'était comme si en quelques secondes il était parvenu à couver sa vignasse et qu'il s'était transformé en redoutable combattant... Dommage pour lui, Okane en était un aussi. Ce dernier reprit en main son nonchaku et attaqua le premier. L'homme para l'attaque et, grâce à sa deuxième dague, il parvint à érafler la joue de l'aveugle. Okane recula aussitôt et grimaça à cause des picotements qui lui brûlaient la joue. Il s'essuya du revers de la main et soupira en sentant un liquide chaud qui commençait à couler. La plaie n'était pas profonde, mais les blessures à la tête avaient l'agaçante manie de saigner abondamment. Soudain, le jeune albinos réattaqua en poussant un hurlement ridicule de "guerrier". Il était aveuglé par sa colère et sa douleur, et Okane n'eut aucun mal à l'envoyer rouler au sol. Le chapelier profita de la diversion pour attaquer et Okane se trouva avec une seconde estafilade sur le bras.

- Tu saignes, petit aveugle ! Ha ! Ha !

Il resta encore silencieux. Il n'avait d'abord pas d'idée de réponse, et puis il ne voyait pas l'intérêt de le faire. Il se demandait sous quel angle attaquer lorsque subitement la jeune femme réapparut. Un coup d'oeil lui apprit qu'elle avait proprement "achevé" l'homme aux cheveux longs et qu'il gisait quelques mètres plus loin, totalement inefficace. Elle semblait décidée à mettre un terme au combat et il recula prudemment pour lui laisser assez d'espace. Mais, tenace, le jeune albinos se relevait encore. Okane haussa un sourcil, assez étonné de le voir aussi résistant... Enfin, il ne tenait presque pas debout et l'assomer ne fut pas une chose bien compliquée. Lorsqu'il se retourna, la jeune femme en avait également fini avec le dernier ivrogne. Un sourire satisfait s'étala sur son visage, que bien sur elle ne pouvait pas voir à cause de l'obscurité. Ils sortirent de la ruelle et Okane constata qu'elle aussi était blessée. La grande flèche était toujours aussi vide, mais le soleil n'allait pas tarder à pointer le bout de son nez, privant l'aveugle de son pouvoir. Il reforma son bâton d'aveugle en soupirant.

- T’es fort toi pour un aveugle…
- Je ne le suis qu'à moitié. Je m'appelle Okane, merci pour le coup de main ! Vous vous battez bien aussi.

il hocha la tête, en signe de salutation et de reconnaissance. Puis il désigna la blessure au ventre :

- Vous feriez mieux de soigner ça. J'ai des bandages si vous voulez.

Il n'attendit pas la réponse et sortit les pansements de son sac. Il était du genre prévenant et comme il lui arrivait de se cogner un peu partout en pleine journée, il avait prit l'habitude de ne plus quitter son rouleau de bandages. Il en coupa un morceau pour la jeune femme et lui laissa le soin de se le mettre elle-même puis il s'occupa de ses propres blessures, moins profondes.

Elle s’appelait donc Ciena. Un nom qu’il n’avait encore jamais entendu… Il s’efforça de mémoriser le visage de la jeune femme avant que le soleil ne se charge de l’effacer de sa vue, tandis qu’il reprenait son inévitable course dans le ciel. Il essayait de marcher un maximum dans l’obscurité, mais avec toute cette luminosité il n’y voyait qu’à moitié et finalement, c’était assez désagréable. Il trébucha plusieurs fois, son chemin ne cessant d’apparaître et de disparaître au fur et à mesure que le soleil remplaçait tout ce qu’il y avait de sombre. Ce fut finalement un soulagement pour lui de pouvoir s’asseoir, surtout qu’ils étaient dans l’ombre de la flèche… Il fit mine de réfléchir aux mots qu’il allait devoir employer pour répondre à la question directe de Ciena. Il n’avait pas l’habitude d’autant de franchise… D’habitude, face à son handicap, les gens prenaient mille précautions. Pour lui, ils faisaient d’avantage cela pour ne pas tâcher leur conscience que par réelle pitié. Ils étaient toujours soulagés que ce soit lui l’aveugle et non l’inverse…

- En fait je ne peux voir que dans l’obscurité. Un peu comme les chats…

Il laissa échapper un petit rire. Quand à la seconde question… Il n’y avait pas grand-chose à dire sur comment il avait apprit à se battre après avoir répondu à la première question. Quand quelqu’un qui ne voit pas se met subitement à voir quand les autres ne voient plus rien, il est facile d’imaginer combien la situation est avantageuse pour lui. Il gratta un moment le sol avec sa canne, écoutant avec plaisir le son qu’elle faisait. Cela lui procurait une foule de renseignements… Il avait connu un aveugle qui, rien qu’au son que faisaient les dés, pouvait dire quels chiffres ils affichaient. Cela l’avait rendu très populaire dans le milieu des jeux de hasard et il faisait la fortune de ses amis… Plus tard, il avait apprit qu’il s’agissait d’un faux aveugle qui passait juste son temps les yeux fermés pour écouter.

- Mon maître était lui aussi aveugle et il m’a apprit à profiter de mon handicap et mon petit pouvoir. Un homme très sage !

Il hocha la tête pour appuyer ses propos tandis qu’un sourire malicieux se dessinait sur ses lèvres. Il adorait tellement « inverser » la notion de voyant-non voyant dans les combats… Voir la tête que faisaient ses adversaires lorsque subitement, il n’avait plus besoin de sa canne. Son maître n’aurait certainement pas été content de voir son élève si joyeux rien qu’à cette pensée… Oui, le combat ce n’est pas bien et la violence devrait être éviter un maximum… Comme pour se justifier il marmonna un « mais c’est eux qui m’ont attaqués… » Puis il secoua la tête et la releva lorsque Ciena fit remarquer combien le spectacle du soleil levant était magnifique. Il profita de l’obscurité locale pour tenter d’apercevoir ce spectacle, mais ce qu’il voyait n’était certainement rien à côté de ce que les yeux de la jeune femme percevaient…

- Le peu que j’en vois est sublime… A mon tour de poser les questions. D’où viens une si profonde cicatrice ?

Il avait eut l’occasion de l’apercevoir lorsqu’elle avait bandée sa blessure, quelques minutes plus tôt. Evidemment, il ne se doutait pas que la jeune femme n’en avait pas la moindre idée… A chacun ses blessures et ses remords.

Ça, oui, elle pouvait le dire : Marak avait été extrêmement patient… Plusieurs fois il avait été sur le point d’abandonner l’apprentissage du surexcité Okane, et ce dernier ignorait ce qui l’avait poussé à continuer. Etait il persuadé qu’Okane finirait par s’assagir et par apprendre correctement ? Sûrement. Le vieil homme avait toujours su cerner le jeune garçon stupide qu’il était alors. D’où pouvait bien lui venir autant de sagesse… ? Existait il une recette miracle pour devenir aussi intelligent et compréhensif que Marak ? Cela devait sûrement s’appeler « l’expérience », « la vie », et autres mots qui faisaient si "classe" dans une conversation… Il hocha la tête à l’affirmation de Ciena et resta un moment plongé dans ses souvenirs, un sourire rêveur planant quelque fois sur ses lèvres.

Il émergea de ses pensées lorsqu’elle reprit la parole. Elle avait eut un petit rire aigre juste avant, et il regretta soudain d’avoir posé la question. Marak n‘aurait certainement pas aborder la question de manière aussi brutale… Déjà parce que de bas il posait rarement des questions d’ordre physique aux femmes ; Il savait que c’était souvent un point sensible. Okane fut surpris d’apprendre que la jeune femme ne se rappelait pas de sa vie antérieure. Que cela devait être perturbant quand, quand on pensait au passé, seuls trois petits mois subsistaient… C’était bien maigre. Non, décidemment, Marak n’aurait pas posé une question si délicate. En tant qu’aveugle, il parvenait à sentir parfois certaines choses, des sentiments, des pensées, émanant des autres. Peut être qu’en tant que semi-aveugle, Okane n’arriverait jamais totalement à ce stade…

- J’imagine à quel point ce doit être désagréable… Je m’excuse d’avoir posé une question aussi embarrassante. As-tu essayé de voir où ce bâton a été acheté ? Il ne semble pas ordinaire et peu de personnes doivent pouvoir se l’offrir… Peut être y a t-il une trace de toi sur un vieux registre dans un de ces magasins d’arme.

Marak aurait il été fier de cette idée ? Le jeune homme avait essayé de repenser aux conseils que Marak avait donné à un amnésique venu le consulter une fois. Okane secoua la tête pour ranger le vieil homme dans un coin de son esprit et ne plus y penser pendant un moment. On ne partait pas voguer sur le fleuve des souvenirs quand on parlait à quelqu'un, surtout si cette personne était amnésique. Jeune ? Ah oui, c’est vrai, il était jeune. Lui avait l’impression d’avoir vécu bien plus que 18 petites années… Peut être parce que Marak avait partagé avec lui de nombreux souvenirs de sa jeunesse, le soir au coin du feu... Il sortit rapidement de sa petite rêverie. Son mentor n’aurait pas aimé qu’il laisse une jeune femme attendre indéfiniment une réponse à sa question.

- J’ai 18 ans. Peut être plus, parce que Marak - mon mentor - m’a retrouvé bébé dans la nature, mais j’en doute. Et toi ? Tu te bats bien aussi.

Le soleil était à présent trop fort pour qu’Okane y voie quoi que ce soit, l'ombre du bâtiment s'étant presque entièrement estompée. Ils pouvaient snetir la chaleur - encore un peu faible - du osleil sur leurs têtes. Ses yeux se fixèrent donc tout naturellement droit devant lui et quand il parlait à Ciena, il ne tournait que légèrement la tête vers elle. C’était comme si il l’a regardait avec son oreille plutôt qu’avec ses yeux… parfois, cela gênait les personnes mais il lui sembla que Ciena ne s’enfuira pas à cause de ça. Il tâtonna le sol pour avoir un contact avec le sol froid en pierre, comme si cela pouvait le rassurer et que ses mains « voyaient » la pierre. La vie commençait à revenir dans la ville et il entendait à présent de nombreuses personnes circuler non loin d'eux. Et parmi eux, pet être que quelqu'un avait connu Ciena...

- Tu n'as pas d'autres objets personnels comme ce bâton dont on pourrait rechercher les origines ?

Il ne voyait pas d'autres moyens pour retrouver des brides du passé de la jeune femme. Arpenter le monde en demandant aux gens s'ils la connaissaient lui paraissait particulièrement fastidieux. Qui plus est, elle était jeune et par conséquent, ele avait rencontré moins de personnes que quelqu'un âgé de par exemple 60 ans.

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